Insignes des Art et des Lettres

Mercredi 18 septembre 2013 -

Cérémonie de remise des insignes de Chevalier des Arts et des lettres, nomination de la ministre de la Culture, Aurélie Filippetti, et remise par le président du Conseil Constitutionnel Jean-Louis Debré.

Groupe des sept moines de Tibéhirine

Moines de Tibéhirine

Le secret de leur mort est enfoui dans les tombes

couverture livre« En quête de vérité », le nouveau livre de René Guitton, ouvre la piste de troublantes révélations : il semblerait qu’à la lumière de nouveaux témoignages, en particulier celui du préfet Marchiani, l’assassinat des sept religieux en 1996 aurait été une mise à mort pure et simple. Une thèse qui bat en brèche les autres versions : groupe islamique armé, manipulation des services secrets algériens ou bavure de l’armée algérienne. Les corps des victimes n’ont jamais été retrouvés, mais si l’on autopsiait les crânes enterrés, des réponses seraient apportées. Extraits exclusifs.

Le drame de Tibéhirine réapparaît sur le devant de la scène. Dans un procès-verbal rendu public le 11 mars sur « France Inter », un ex-officier algérien interrogé par le juge Marc Trévidic affirme que l’enlèvement des sept moines, la nuit du 26 au 27 mars 1996, lors de la guerre civile d’Algérie, a été commandité par la sécurité militaire algérienne. Au même moment, dans « En quête de vérité », l’écrivain et philosophe René Guitton, spécialiste des échanges culturels et religieux entre l’Orient et l’Occident, relance lui aussi le débat. Les faits : le 21 mai 1996, un communiqué attribué au Groupe islamique armé (GIA) annonce la disparition des moines. Cette thèse officielle est mise en doute lorsque leurs têtes décapitées sont retrouvées le 30 mai, non loin de Médéa. Guitton, par un travail approfondi d’enquête, revient sur les circonstances de la mort des moines, sur celles de l’enquête menée par les autorités françaises, sur le rôle de Jacques Chirac et d’Alain Juppé, alors au pouvoir, et sur celui de Jean-Charles Marchiani, l’émissaire désavoué. Sous sa plume, de nouveaux personnages apparaissent. La Théorie de la « bavure » à partir d’un hélicoptère de l’armée est démentie, preuve à l’appui.

Des extraits de la commission rogatoire du juge Bruguière sont révélés. Et l’analyse des photos des sept crânes par des médecins légistes éclairci une affaire aujourd’hui toujours mystérieuse.

Les tombes des moinesL’enlèvement des moines : par des non-algériens?
A l'intérieur de leur monastère, les tombes abritant les crânes des sept moines.

[…] Les maquisards en charge de l’enlèvement ne connaissent ni le monastère ni les moines. Tout au plus savent-ils que les religieux sont au nombre de sept. Cette méconnaissance du terrain confirme que l’opération a été montée à la hâte, et par des étrangers à la région […]

Jean Pierre, qui fait fonction de frère hôtelier, est alerté par le bruit. De la fenêtre de sa chambre, il parvient à apercevoir une silhouette entrant furtivement par la petite porte en fer qui donne sur la route. L’homme porte un turban, chose habituelle, et une arme en bandoulière, qui fait hélas partie de la panoplie traditionnelle des djihadistes.

 Chirac à Marchiani : « Nos services pataugent, vous, vous connaissez bien les algériens… »
[…] A Paris, au plus haut niveau de l’Etat, on commence à s’inquiéter. L’enlèvement des moines fait la une de certains journaux, mais a vite cédé la place à d’autres sujets d’actualité. […]
Le président de la République, Jacques Chirac, est – restons dans l’euphémisme – prodigieusement agacé par le peu d’informations qui remontent jusqu’à lui. Le Premier ministre, Alain Juppé, ne semble pas manifester d’acharnement dans le suivi du dossier.

[…] Pour Jean-Claude Marchiani, c’est en raison des dissensions entre les différents services français que Jacques Chirac se décide à avoir officieusement recours à ses talents pour obtenir la libération des moines. Le préfet est convoqué à l’Elysée le samedi 6 avril à 21 heurs. […] « Nos services pataugent [dit-il au préfet du Var.] Vous, vous connaissez bien les Algériens, vous vous entendez bien avec eux. Essayez de voir ce que vous pouvez faire tout en restant très discret. Il faut que personne ne sache ce que vous faites. »

Messe pour les moines

Le 2 juin 1996, messe pour le réquiem à la mémoire des sept moines et du cardinal Léon Etienne Duval à la basilique Notre-Dame d'Afrique à Alger.

[…] A en croire Jean-Claude Marchiani, ce que le GIA exige en contrepartie de la libération des moines est dérisoire : de l’argent, rien de déraisonnable, la libération de plusieurs détenus de droit commun purgeant en France des condamnations pour délits mineurs (trafic de drogues, proxénétisme), ainsi que l’obtention de titres de séjour pour différentes personnes se trouvant en situation irrégulière sur le sol français. A aucun moment, m’assure l’ancien préfet, il n’est question d’un renversement d’alliance politique, d’un lâchage d’Alger par Paris ou de l’arrêt des livraison de matériel militaire français à l’armée algérienne. Les ravisseurs l’auraient-ils exigé que l’émissaire français se serait trouvé en situation délicate. Personne n’était au courant de sa mission, surtout pas les émissaires français concernés par de telles exigences : la Défense et les Affaires étrangères. Il ne pouvait sceller des engagements qu’il n’aurait pu tenir.

Ces confidences de l’homme du Var sur les exigences des ravisseurs – si elles sont avérées – paraissent à la fois secondaires et pleines d’enseignements. Pour ce qui est des sommes d’argent réclamées, il les qualifie de simples « gratifications » […].

S’agissant de la libération de détenus de droit commun incarcérés en France, ces demandes renvoient plus à une dimension artisanale, quasi familiale, de l’activité terroriste et de la lutte clandestine. Le GIA est une grande famille où chacun se connaît et connaît les secrets bien cachés de ses compagnons de lutte. Obtenir une remise de peine ou la liberté pour le frère, le beau-frère ou le petit-cousin d’un membre du mouvement, tombé pour une affaire de droit commun certes condamnable par la morale islamiste, c’est s’assurer à peu de frais des soutiens indéfectibles et des relais précieux au sein de la population. C’est aussi fédérer les autres groupes rivaux, voire ceux qui auraient pu prendre, à un moment, le contrôle des moines kidnappés mais n’auraient pas disposé des contacts nécessaires pour monnayer leur avantage. Quel que soit le cas de figure, c’est un retour sur investissement garanti.

[...]Si la version de Jean-Claude Marchiani des débuts des tractations est exacte – et rien ne va à l’encontre de cette thèse -, elle confirme que l’enlèvement des moines, même s’il aurait pu servir objectivement les intérêts circonstanciels des militaires algériens, ne serait plus qu’une vulgaire affaire de chantage, de passe-droits et propagande. Pire, au regard des revendications, les moines de Tibéhirine figurent en piètre posture. Aux yeux des djihadistes, leur valeur d’échange n’équivaut qu’à quelques comparses sortis du droit chemin, rien de plus. […]

Comment Juppé s’en mêle … Pour torpiller la mission Marchiani
Schéma crânes[…] Les renseignements français, sans qu’ils en aient la preuve, simplement par quelques déductions subtiles, n’écartent pas la responsabilité directe de la sécurité militaire algérienne dans certains attentats. Pourquoi l’enlèvement des moines ne serait-il pas une manipulation orchestré par la DRS ou le CTRI (les services secrets et la police politique) ? Des attentats ont eu lieu non loin des casernes sans que l’armée soit intervenue, et d’autres signes de ce type ont alerté la DGSE. La DST quant à elle demeure persuadée du contraire et s’en tient à la version officielle algérienne : les attentats comme l’enlèvement des religieux de Tibéhirine sont le seul fait des djihadistes.

En réponse « au mépris » affiché, la réaction d’Alger ne se fait pas attendre. Les autorités adressent des remontrances à Paris, s’étonnant de la manière cavalière avec laquelle la France les traite.
Les paradoxes s’amoncellent-ils ? Ce serait alors par un officiel algérien que le Premier ministre Alain Juppé et le ministre de l’Intérieur Jean-Louis Debré auraient été informés et de la visite d’Abdullah (un émissaire du GIA) à l’ambassade, et du fait que Jean-Claude Marchiani menait des tractations strictement officieuses avec certaines personnalités algériennes. […]

[…] Sans avertir quiconque de leurs intentions, et pas même le président de la République dont ils auraient deviné qu’il avait cherché, une fois de plus, à les doubler, le torpillage de la mission Marchiani se met en marche, et se produit à l’issue du Conseil des ministres du 9 mai 1996. Selon l’ancien préfet du Var, le Premier ministre et le ministre de l’Intérieur auraient décidé, comme s’il s’agissait d’une mesure de bon sens, de renvoyer le préfet du Var aux affaires du Var et rien d’autre.

L’information est de taille. Le principal intéressé affirme de la sorte que des membres du gouvernement français de l’époque ont été ainsi au courant de ses démarches : aucun d’eux n’a cherché à élever d’objections ou à demander des précisions sur la nature de cette missions et les résultats qu’elle avait pu d’ores et déjà obtenir. A ses yeux, ces ministres portent la responsabilités de l’arrêt de sa mission.

D’autre part, Jean-Claude Marchiani affirme que, mis implicitement en cause par son Premier ministre et son ministre de l’Intérieur, le président de la République l’a purement et simplement laissé tomber. Ce qui, dans sa bouche ,donne : « Il (Chirac) n’a rien dit. Il a fait l’idiot, il a dû mentir comme d’habitude. »

C’est une décision brutale qui s’abat sur Jean-Claude Marchiani. Il est remercié et remis à sa place sans plus de façons. Jean-Louis Debré prend la peine de téléphoner au préfet du Var pour lui faire part lapidairement, de la décision. Sans plus. Alain Juppé, lui, est moins élégant encore. Il n’informe pas l’intéressé de la teneur du communiqué qu’il a inspiré au porte-parole du Quai d’Orsay, Yves Doutriaux, et que ce dernier va relayer auprès des médias.

[…] En fonctionnaire zélé, Jean-Claude Marchiani ne peut alors que s’incliner et prévenir ses contacts qu’il est désormais hors jeu. Le 10 mai 1996 au matin, il téléphone à Saïdi Fodil pour lui dire : « Je suis désavoué. » Son interlocuteur, guère loquace, se contente d’un lapidaire : « Je le sais, je l’ai appris. »

A en croire ce récit, une occasion d’obtenir éventuellement la libération des moines à piteusement échoué.

 L’hypothèse de tir depuis un hélicoptère ne tient pas
Schéma crânes[…] Leur authenticité ne fait aucun doute. Ce sont bien les sept veilleurs de l’Atlas qui figurent sur ces clichés, et ils ont bien été pris le matin même de la découverte par la gendarmerie de Médéa. Ces restes sont dans un état qui exclut toute tentative d’habillage et de maquillage, ce qui rend leur contemplation difficilement supportable.

[…] En conclusion, ces constations faites uniquement à partir de l’observation de ces clichés, avec tout ce qu’ils laissent d’approche théorique compte tenu de leur mauvaise qualité, montrent des traumatismes qui ne pourraient pas avoir été provoqués par une arme blanche ou par un objet contondant.

Les délabrements constatés sur les différentes têtes pourraient correspondre à des balles de fort calibre et non à des projectiles de faible calibre.

Ces constations sont donc parfaitement compatibles avec l’utilisation de balles. Je tenais pour acquis désormais, au vu des explications des spécialistes, que les crânes laissaient apparaître ou pouvaient laisser apparaître des traces de balle tout court, mais chaque fois d’un seul projectile. C’était là une probabilité, voire une forte certitude. Mais cela ne me disait pas comment elles avaient été tirées. D’hélicoptère ?

J’ai donc abordé la question avec des spécialistes de l’armement aéroporté. L’armée algérienne avait été dotée, dès l’indépendance, d’un armement soviétique, et ses hélicoptères, en 1996, étaient des MI-24, équipés de canons circulaires 38 mm d’une puissance de feu terrifiante. Ils pouvaient disposer également d’un « panier » contenant une douzaine de roquettes antichars. Les appareils qui nous intéressent étaient dotés également de mitrailleuses, appelées 12/7, indiquant la grosseur du calibre.

L’utilisation de ces types d’armes, avec tirs d’altitude, contre des hommes au sol, aurait eu pour effet, a priori, et avec toutes les précautions d’usage, de créer des dégâts beaucoup plus importants que ceux apparaissant sur les photos. Ces tris auraient vraisemblablement créé plusieurs impacts de mitrailleuse puisque automatiques, entraînant l’éclatement des têtes, peu compatible avec le fait qu’elles paraissent, malgré d’important dommages, être pour certaines presque intactes ou qu’elles n’avaient pas fait l’objet d’une reconstitution complexe au moment de leur découverte. Dès lors, les tirs depuis l’hélicoptère par roquettes ou par tirs de 12/7 sembleraient très improbables.

Sur ces clichés, le plus caractéristique, on l’a dit, est que chaque tête ne porte à priori qu’un seul impact de balle, mais que de plus le tir semble dirigé, de manière quasi systématique, plutôt du haut vers le bas, tiré plutôt du côté gauche avec sortie du côté droit des faces. Ce qui pourrait accréditer l’hypothèse des moines assis au sol, ou agenouillés, exécutés chacun d’un balle tirée par des hommes debout.


© « En quête de Vérité. Le martyre des moines de Tibhirine ».
De René Guitton, ed. Calman-Lévy.

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