Article écrit par Virginie Riva. Paru en Août 2009 dans "Le Monde"
Au Pakistan, la minorité chrétienne pleure ses morts
Sept personnes ont été tuées lors d'une attaque au Pendjab d'extrémistes musulmans
La communauté chrétienne du Pakistan a annoncé, lundi 3 août, un deuil de trois jours après la mort de sept chrétiens tués samedi à Goja dans la province du Penjab par un groupe de musulmans qui accusait les chrétiens d'avoir blasphémé le Coran. Deux enfants, un frère et une sœur âgés de 6 et 13 ans, leurs parents et leur grand-père de 75 ans, sont morts carbonisés dans leur maison, à laquelle les assaillants ont mis le feu, ainsi qu'à une quarantaine d'autres habitations de chrétiens.
Les autorités locales ont condamné ces actes avec fermeté, à l'instar du ministre de l'intérieur du Penjab, Rana Sanaullah, qui a demandé l'ouverture d'une enquête. Deux cents personnes ont été interpellées afin de déterminer si l'attaque était spontanée ou organisée par un groupe militant. Le ministre des minorités, Shanhbaz Bhattie, a affirmé que les groupes à l'origine de ces violences étaient " instrumentalisés par des extrémistes religieux ".
" Comme un traître "
" La police arrive toujours trop tard ", nous confie René Guitton, expert de l'Alliance des civilisations aux nations unies (et auteur de Ces Chrétiens qu'on assassine, éd. Flammarion), qui dénonce une sorte de complicité passive de la part des forces de sécurité. Le secrétaire général du conseil œcuménique des églises, Samuel Kobia, a adressé une lettre au président pakistanais Asif Ali Zardari, lui demandant de mieux protéger les chrétiens dans le pays
Tir de missiles américains au Sud-Waziristan
Des missiles vraisemblablement tirés par un drone américain ont touché, mercredi 5 août, la maison du beau-père de Baitullah Mehsud, chef des talibans pakistanais, a déclaré un membre de la famille qui assure que la femme du chef taliban a été tuée. Selon un responsable des services de sécurité dans la région, deux activistes ont aussi péri dans l’attaque. La frappe a touché un village isolé du Sud-Waziristan, dans les zones tribales du nord-ouest du Pakistan, bastion du Mouvement des talibans du Pakistan (TTP) de Mehsud, considéré par les américains comme un relais clé d’Al-Qaida.
"Les meurtres et la destruction de maisons auraient pu être évités si la police et les forces de sécurité avaient été vigilantes et pris des mesures à temps contre les groupes de militants islamistes qui ne cessent de menacer les autorités chrétiennes. "
Pour René Guitton, cet épisode de violence n'est qu'un " épiphénomène " dans un Pakistan en proie à une radicalisation de la persécution antichrétienne depuis le 11 septembre. " Le chrétiens est assimilé avec l'ennemi voisin : les Etats-Unis, et au-delà, les Occidentaux, qui, pour les musulmans, sont forcément chrétiens. " Les chrétiens ont déjà subi de nombreuses persécutions. Ils dénoncent notamment une instrumentalisation contre leur communauté de la loi anti blasphème pakistanaise, l'une des plus sévères au monde prévoyant le peine de mort.
L'évêque du diocèse de Karachi, Sadiq Daniel, rejette l'accusation de blasphème : " Aucun acte de blasphème des versets du Coran n'a été perpétré à Goja, cela ne viendrait à l'idée d'aucun chrétien. " Mais comme l'explique René Guitton, un chrétien pakistanais est perçu comme un traître ". Selon lui, la religion chrétienne a été importée par les portugais et les Britanniques, en ce sens, elle représente un résidu de colonisation, et ce ressentiment est renforcé par l'intervention des forces américaines et occidentales chez le voisin afghan.
Dans un pays de 170 millions d'habitants où 97% de la population est musulmane, et l'islam élevé au rang de religion d'Etat -la religion figure sur la carte d'identité- les minorités religieuses représentent moins de 3% de la population. A côté des hindous et des ahmadis, mouvement religieux de l'islam, mais non reconnu comme tel par la communauté musulmane, les chrétiens, répartis entre catholiques pour un quart, et protestants pour les trois quarts luttent au quotidien. " Ils n'ont aucun moyen pour se faire entendre, conclut M. Guitton."
Virginie Riva