LIVRES&IDÉES spiritualité et religion
Dix ans après la disparition du prêtre jésuite
Paolo Dall’Oglio, figure du dialogue islamo-chrétien en Syrie, l’essayiste René Guitton rend un hommage tendre et puissant à son ami.
Paolo, la présence de l’absent de René GuittonDesclée de Brouwer, 157 p., 14,90 €
Hommage intime à un ami disparu
EEn juillet 2013, Paolo Dall’Oglio disparaissait en Syrie. Le père jésuite était enlevé à Rakka alors qu’il avait rendez-vous avec des responsables de Daech. Depuis, ses proches sont sans nouvelles de lui. Dans un texte écrit comme une longue lettre, l’essayiste René Guitton, décédé en mars 2023, rend hommage à son ami disparu. Rédigé à la deuxième personne, son récit très personnel semble être adressé à Paolo Dall’Oglio, tantôt tendre, révolté, affectueux ou inquiet, osant espérer qu’il soit vivant. Se succèdent des souvenirs de l’écrivain, des images de « Paolo » en manifestation de solidarité avec la Syrie à Paris, allongé au sol, en prière, accueillant dans son monastère de Mar Moussa, au milieu du désert syrien.
René Guitton brosse le portrait d’un Paolo immense, aussi bien par sa taille que par sa « force morale ».
Le jésuite italien avait réhabilité cette bâtisse dans les années 1980 pour en faire un lieu d’hospitalité, au service de la fraternité et du dialogue entre les religions. Avec une grande douceur, René Guitton retrace l’itinéraire étonnant de cet ancien sympathisant des Brigades rouges en Italie devenu jésuite et « amoureux de l’islam », provoquant parfois l’irritation de certains chrétiens. Attiré par les courants mystiques musulmans, Paolo apparaît spirituel. René Guitton se souvient assister avec lui au tournoiement entêtant des derviches, ou parcourir le dédale des rues de Damas pour rejoindre une cérémonie soufie. Dans sa plume sensible passe aussi la détresse de Paolo au dé but de la guerre en Syrie, son sentiment d’impuissance et son dé sir viscéral de s’engager face au massacre d’innocents, lui qui prit position plusieurs fois contre les exactions du régime au point de se faire expulser du pays en 2012. L’hommage prend parfois la tournure d’un dialogue : idéaliste et têtu, le prêtre est persuadé de pouvoir montrer aux djihadistes la tradition de tolérance de l’islam, leur rappeler que le véritable djihad est un combat spirituel, et croit en sa capacité de libérer des prisonniers… Face à son ami, l’auteur se fait la voix de la raison, lui redit que les combattants de Daech « ne respectent rien ni personne. » « Tu es tout ce que ces assassins haïssent », lui lance-t-il. René Guitton brosse le portrait d’un Paolo immense, aussi bien par sa taille que par sa « force morale », fourmillant de projets, autoritaire parfois, absolu et dissident. Son récit intime et émouvant raconte aussi en filigrane une histoire d’amitié, laissant deviner la complicité qui unissait les deux hommes.
Marguerite de Lasa