Le Figaro Magazine - vendredi 29 septembre 2023 -Esprits libres.
Article parut dans le Figaro - Le disparu frappe à la porte.
Rien n’est plus ardu que d’apprivoiser l’absence d’un être cher. Dans notre époque enivrée d’informations, si sa disparition demeure inexpliquée, alors toute tentative de consolation devient vaine. Depuis dix ans, le sort de Paolo Dall’Oglio, qui fêterait ses 59 ans s’il était resté parmi les siens, suscite rumeurs et fantasmes. Ce prêtre syriaque catholique, jésuite italien, restaurateur d’un monastère du VIe siècle dans le désert syrien, fondateur d’une communauté monastique dédiée au dialogue avec l’islam, missionnaire pendant trente ans auprès des musulmans, invité des colloques et des chancelleries européennes, est-il mort ? Toujours otage de Daech ? Retenu dans les geôles du régime ? Nul indice pour le savoir.
En juillet 2013, effaré par la guerre fratricide qui ravage alors la Syrie, son pays d’adoption, il frappe à la porte du gouvernorat de Raqqa, siège des islamistes, en vue de s’offrir en otage contre la libération de deux frères - qu’il obtient d’ailleurs. Depuis, on est sans nouvelles. Aucun indice n’atteste de sa survie ou de son assassinat. Par ce livre, publié à titre posthume, l’essayiste René Guitton le ressuscite momentanément. Tout y confirme l’immense densité et l’envergure spirituelle de cet homme à la carrure imposante. Cette figure libre du XXIe siècle, engagé pour la paix et l’harmonie islamo-chrétienne, a compris l’essence du christianisme au contact de ses amis adorateurs musulmans, à l’instar de Charles de Foucauld. René Guitton, voyageur infatigable et bon compagnon de route, livre, par exemple, le récit de la plongée mystique qu’ils ont faite ensemble au cœur de la confrérie soufie d’Alep « où la tradition des derviches tourneurs, ancrée dans la région depuis le XIIIe siècle par l’éminent poète Rumi, est très vivace ». Paolo Dall’Oglio est décrit comme vêtu d’une jalabiya blanche, expectorant le nom d’Allah en cadence, lui qui se dit disciple de Jésus et amoureux de l’islam. « Le mouvement devient hypnotique jusqu’à ce que vous ayez atteint l’état de transe, en chemin vers l’éveil. » À lire le témoignage de cette amitié toujours vive, on comprend que Paolo est de ces êtres qui ont été comme prêtés à l’humanité pour un moment… et dont la fécondité se confirme à mesure que le temps coule et les témoignages abondent.
GUYONNE DE MONTJOU
Paolo, la présence de l’absent, de René Guitton, Desclée de Brouwer, 158 p., 14,90 €