Article écrit par Tigrane Yégavian paru dans la Revue Etudes de novembre 2023
Singulier destin que celui du prêtre jésuite italien Paolo Dall’Oglio (1954-2013), dont on est sans nouvelles depuis sa disparition à Rakka (Syrie), en 2013. Dix ans après son enlèvement, son ami et écrivain engagé René Guitton lui a rendu hommage, voulant le croire vivant, avant que la mort ne le surprenne peu après l’achèvement de son manuscrit. Il parle d’un homme de courage et à contre-courant, un homme de savoir et de foi, un homme dont la force du témoignage et la cohérence du parcours ne manquent pas d’évoquer saint Charles de Foucauld (1858-1916) et Louis Massignon (1883-1962). Dall’Oglio s’était inscrit dans les pas de ce dernier, fondateur de l’association Badaliya (« substitution », en arabe), vaste réseau de prière consacré à la rencontre entre chrétiens et musulmans. Dall’Oglio avait fait du monastère Mar Moussa al-Habachi (« Saint Moïse l’Abyssin », situé dans le désert syrien à 80 kilomètres au nord de Damas), un haut lieu d’hospitalité et de fraternité islamo-chrétiennes. Arabisant et fin connaisseur de l’islam, il avait découvert les ruines de ce monastère en 1982 et, frappé par le caractère sacré des lieux, y avait vécu deux ans dans la solitude, avant de redonner vie à ce lieu saint du VIIe siècle. Électron libre de l’Église, souvent en porte-à-faux vis-à-vis des patriarches des Églises d’Orient, il fut expulsé de Syrie en 2012 en raison de son soutien à la révolte populaire contre le pouvoir. Il y était revenu clandestinement à plusieurs reprises, avant de disparaître après s’être porté volontaire pour négocier la libération d’otages à Rakka, tombé aux mains de l’État islamique. Ce chrétien amoureux de l’islam aura partagé tout au long de son existence le sort des Syriens, pour le meilleur et pour le pire.
Tigrane Yégavian
Diplômé de Sciences Po Paris et de l’Institut national des langues et civilisations orientales (Inalco), journaliste, membre du comité de rédaction de la revue de géopolitique Conflits et chercheur au Centre français de recherche sur le renseignement (CF2R).