Du sort des minorités dans le printemps arabe
C’est à la place réservée aux différentes minorités des sociétés arabes que l’on jugera de la véritable nature du printemps en cours.
Article repris *dans le journal canadien "Le Devoir", également traduit et repris très prochainement dans le quotidien américain de référence : "The Washington Post"
Des rives de l’Atlantique à celles du golfe Persique, dans de nombreux pays arabo-musulmans, des femmes et des hommes réclament la démocratisation des régimes en place, et parfois même le départ des dictateurs qui monopolisent le pouvoir à leur profit pouvoir et richesses nationales. La plupart des observateurs ont trop souvent sous-estimé, voire nié, la formidable aspiration des peuples arabes à la démocratie, or l’extraordinaire ébullition à laquelle on assiste démontre bien l’universalité des droits de l’homme et la compatibilité de l’islam avec la démocratie. Jusqu’ici, et contrairement à certaines craintes, les révolutions arabes n’ont donné lieu ni à des manifestations xénophobes ou anti-occidentales ni à une percée significative des islamistes.
La « révolution du jasmin » en Tunisie et les révoltes de la place de Tahrir au Caire ont eu en commun de signer de manière simultanée la fin des régimes dictatoriaux en place et la remise en question implicite de l’islamisme politique. Ce n’est pas en se référant à la charia ou au mythe d’un État théocratique, fondé sur une conception fondamentaliste de l’islam, que les protestataires ont bravé l’ordre. Ils ont réclamé, obtenu, ce que d’autres espèrent obtenir : le multipartisme, la liberté de la presse, la tenue de vraies élections démocratiques et pluralistes...
Lors de ces manifestations, nul drapeau américain ou israélien n’a été brûlé, nul slogan anti-occidental ou antijuif n’a été proféré. Que ce soit en Libye ou en Syrie, à l’instar de l’Iran, ce sont les régimes en place qui, pour tenter de délégitimer les mouvements de protestation, dénoncent de manière démagogique la « main de l’étranger » et attribuent au grand Satan américano-israélien » le vent qui voudrait les balayer. Le procédé a été trop utilisé pour être crédible, et les protestataires montrent qu’ils sont bien décidés à refuser l’anti-impérialisme qu’on leur brandit. C’est là un signe profondément encourageant, même s’il faut se garder de tout angélisme : trop d’évènements récents nous incitent à la vigilance.
Fin d’année 2010, Égypte fut le théâtre d’un attentat sanglant contre un église copte d’Alexandrie. Nul ne pouvait imaginer alors que, quelques semaines plus tard, une foule où se côtoyaient musulmans, chrétiens et agnostiques –car il y en a !- conduirait Hosni Moubarak à démissionner. C’est à eux désormais d’agir pour que pareille tragédie ne puisse se reproduire.
En Tunisie, au lendemain de la chute de l’ex-président Zine El Abidine Ben Ali, un prêtre catholique d’origine polonaise, le P. Marek Rybinski, a été égorgé dans les locaux d’une école interconfessionnelle à la Manouda, dans la banlieue de Tunis et qu’un oratoire était incendié près de Gabès. En réponse à ces évènements, plusieurs centaines de Tunisiens ont manifesté en faveur d’une « Tunisie laïque » en brandissant des pancartes où l’on pouvait lire : « nous sommes tous juifs, chrétiens et musulmans. »
C’est toujours selon le traitement que l’on réserve à l’Autre qu’une société est jugée, affirmation qui s’applique également à nos propres sociétés. Et ce, même quand ces minorités sont si peu importantes qu’elles sont pour ainsi dire invisibles. « Suis-je le gardien de mon frère ? », disait Caïn. Il faut en finir avec l’interprétation restrictive et égocentrique de cette interrogation. Nous sommes les gardiens de nos frères mais pas uniquement d’eux. Point n’est besoin d’être chrétien pour prendre la défense des coptes Égypte, des assyro-chaldéens d’Irak ou des maronites du Liban. Point n’est besoin d’être musulmans pour prendre la défense des chiites de la péninsule arabique, des sunnites d‘Iran, des musulmans d’Inde et de Ceylan ou des alévis de Turquie. Point n’est besoin d’être juif pour prendre la défense des juifs de Syrie ou d’Iran. Cette défense des minorités est avant tout l’affaire des majorités au milieu desquelles elles vivent, tant on ne peut s’estimer soi-même si l’on méprise l’Autre.
Les nouveaux régimes seront jugés à l’aune du traitement qu’ils réserveront à leur minorités ethniques et religieuses : chrétiens Égypte, de Syrie, chiites des émirats du golfe Persique…
La thèse fallacieuse, trop souvent entendue, selon laquelle seuls les régimes autoritaires sont en mesure d’assurer la sécurité, voire la survie de leurs minorités, attend un démenti cinglant. C’est à la place qui sera réservée à ces différentes minorités dans leur société que l’on jugera de la véritable nature du printemps arabe.
Ce texte est une partie d’une série réalisée en collaboration avec l’Alliance des civilisations des Nations Unies et son projet Global Experts.