Moines de Tibhirine : un livre pour briser le silence
Dans En quête de vérité qui paraît cette semaine, René Guitton démonte la thèse de la bavure de l’armée algérienne dans la mort des sept moines de Tibhirine. Un livre qui relance le débat sur ce drame mystérieux.
René Guitton a commencé son enquête bien avant que le film Des hommes et des dieux ne rappelle au souvenir de tous, le martyre des Veilleurs de l’Atlas. Photo Fred MARVAUX
Qui a tué les moines de Tibhirine et pourquoi ? A cette question restée lettre morte depuis 15 ans, René Guitton apporte un début de réponse, en tout cas il lève un coin du voile. Il publie cette semaine En quête de v érité, chez Calmann-Levy. Un livre choc, fruit d’une très longue enquête, commencée bien avant que le film Des hommes et des dieux ne rappelle au souvenir de tous, le martyre des Veilleurs de l’Atlas. Les corps des sept moines enlevés dans leur monastère le 26 mars 1996, et tués après deux mois de captivité, n’ont jamais été retrouvés. Seules les têtes ont été disposées au bord d’une route, de façon symbolique.
Cette enquête assez incroyable, l’a mené évidemment en Algérie, à la recherche de témoins, jihadistes, services secrets, militaires, en Italie, en Afrique, mais aussi jusqu’au plus secret de la procédure conduite par le juge Trévidic.
La première vertu de ce livre est d’abord de briser le silence. « Ce n’est pas la première fois que j’écris sur cette affaire, explique l’auteur, venu présenter sa thèse à la FNAC de Nancy. « En 2001, j’avais écrit Si nous nous taisons, un livre-hommage consacré aux moines. Depuis, il y a eu le film, une sorte d’exutoire pour les chrétiens. Enfin on parlait de cette mort injuste ».
Exhumer les têtes
En quête de vérité comporte des révélations et pour l’écrire, René Guitton a du résister à quelques pressions. « Je démonte la thèse de la bavure de l’armée algérienne commise depuis un hélicoptère. Je pense qu’ils ont été enlevés par des djihadistes. Je pense que les djihadistes ont exécuté un ordre, ou, à tout le moins, les moines ». Il a eu accès aux photos des têtes décapitées des moines de Tibhirine, les a fait analyser par des médecins légistes. « On ne peut pas un seul instant penser qu’un hélicoptère équipé d’armement lourd ait pu faire ce type de blessures. Les têtes auraient explosé. Là, elles sont entières. » Et il suggère d’exhumer les têtes, convaincu qu’elles « parleront », qu’au moins on pourra avoir des indications sur le type d’arme qui a servi à ce qui ressemble à une exécution sommaire, suivie d’une décapitation post-mortem.
Secret défense
Mais pour faire éclater la vérité au grand jour, encore faut-il le vouloir. Et à la lecture de l’ouvrage de René Guitton on n’a pas vraiment le sentiment que ce soit le cas. «Toute vérité n’est pas bonne à dire», confiait le président Bouteflika à ce propos.
Avec méthode, l’auteur pointe la position de retrait du Vatican, le fait que la Trappe ne se soit pas constituée partie civile, ou qu’il ait fallu attendre dix ans pour que le juge Brugière diligente une commission rogatoire en Algérie, ou la déclassification de 105 sur 109 documents «Secret défense».
«On a considéré qu’il fallait protéger les relations franco-algériennes qui ne sont pas bonnes. A cette époque, l’Algérie était en pleine guerre civile. Et la France et l’Algérie avaient les mêmes ennemis puisqu’il y avait des attentats djihadistes à Paris ». Entre ces deux pays, rien n’a jamais été simple. « Mais veut-on vraiment en France, au Vatican, ou en Algérie connaître cette vérité ? A moins qu’elle ne soit sue, et qu’on veuille la taire», écrit René Guitton.
En quête de vérité de René Guitton,
Calmann-Lévy.
M. R.