Insignes des Art et des Lettres

Mercredi 18 septembre 2013 -

Cérémonie de remise des insignes de Chevalier des Arts et des lettres, nomination de la ministre de la Culture, Aurélie Filippetti, et remise par le président du Conseil Constitutionnel Jean-Louis Debré.

CouvertureManifestation de religieuses à Calcutta (Inde) le 11 février 1999, après l’assassinat d’un missionnaire chrétien. Pour René Guitton, on a tort de penser que seul l’Islam fondamentalisme persécute les chrétiens: "En Inde ce sont les hindous qui les massacrent, et au Sri Lanka, les bouddhistes".

Essayiste et militant du dialogue interreligieux, René Guitton attire l’attention, dans "Ces chrétiens qu’on assassine", sur les persécutions dont sont victimes les chrétiens dans le monde arabo-musulman, mais aussi en Inde et en Extrême Orient. Un livre qui rompt la loi du silence qui règne en France sur ce sujet.

 Comment ce livre est-il né ?

Pour écrire plusieurs de mes livres, notamment "Le Prince de Dieu"(1) qui est un cheminement à travers les trois religions à partir du personnage d’Abraham, j’ai voyagé dans des réseaux chrétiens existant de par le monde. C’est au cours de ces pérégrinations, qui m’ont mené aussi bien en Irak qu’en Iran ou en Indonésie, que j’ai pris conscience des persécutions exercées à leur encontre. Celles-ci sont très diverses. Cela peut aller de la simple discrimination – par exemple l’interdiction d’enseigner qui existe dans ces pays musulmans exigeant des professeurs qu’ils connaissent l’arabe coranique – à des violences extrêmes – tels des autodafés durant lesquels on peut brûler des évangiles. Et même jusqu’à des massacres, comme en Inde ou, plus récemment, au Nigéria. Cette situation est d’autant plus révoltante que les constitutions des pays concernés garantissent théoriquement les même droits à tous.

Ancien élève de l’école biblique de Jérusalem et membre de réseau d’experts de l’Alliance des Civilisations, René Guitton est l’auteur de plusieurs livres parmi lesquels:
"Si nous nous taisons…Le martyr des moines de Tibhirine". Bon connaisseur su monde arabo-musulman, il procède dans "Ces Chrétiens qu’on assassine" à une enquête fouillée sur la situation dramatique des minorités chrétiennes dans le monde.

Au fur et à mesure de mes découvertes, je me suis aperçu qu’en France, il y avait un refus de savoir. Ce n’était pas "tendance" de parler des chrétiens. Je me heurtais à un silence incroyable. Y compris dans l’Église.

Lorsqu’une tombe juive ou musulmane est profanée, les médias s’en emparent aussitôt. Or il y a en France une moyenne de quinze tombes chrétiennes profanées par semaine, et on en entend jamais parler. Sous prétexte que ce sont des satanistes qui, dans la plupart des cas, commettent ces insanités, on en dit rien. Il y a aussi le poids de la colonisation : défendre les chrétiens des pays musulmans, c’est risquer de se faire traiter de "colonialiste". Enfin, une sorte le "laïcardie" intégriste continue de monter la garde. Les "laïcards" qui critiquent Sarkozy quand il accueille le Pape sont parfois les mêmes qui protestent quand il ne reçoit pas le dalaï-lama, qui n’est pas un chef d’état.

(1) Flammarion 2006

 Ce silence est-il en train d’être levé ?

Je le crois. Trop longtemps, les chrétiens ont subi la culpabilité d’une bien-pensance suggérant qu’ils sont une majorité, et que seule une minorité peut être victime. Or les chrétiens pratiquants sont devenus une minorité en France, comme les musulmans et les juifs. Leur statut est perçu différemment. Surtout, la crainte de protester était liée à la peur d’être accusé d’islamophobie, et cette peur est en recul.

Je montre d’ailleurs dans mon livre que l’islam fondamentaliste n’a pas le monopole de la persécution des chrétiens. En Inde, ce sont des hindous qui les massacrent. Et au Sri Lanka, ce sont des bouddhistes, qui n’ont rien à voir avec l’image d’Épinal lénifiante que l’on donne d’eux en Occident.

 Quel est l’épicentre de cette persécution ?

C’est moins un épicentre qu’un évènement: le 11 septembre 2001. Depuis cette date, tous les fanatismes se sont libérés. Et pas seulement celui des musulmans. Au Maghreb aussi la situation à changé. En Algérie, elle s’est durcie depuis la loi de 2006 qui prohibe le prosélytisme religieux comme s’il y avait un complot chrétien pour "recroiser" l’Algérie.

Le régime algérien a exagéré, pour des raisons politiques, l’importance des courants évangélistes présents dans ce pays. L’état et Bouteflika ont choisi, par démagogie, de donner du grain à moudre aux islamistes. Heureusement, une partie de l’opinion a protesté contre cette loi qui permet à des policiers d’intervenir si des chrétiens expriment leur foi en dehors de leurs maisons. Je raconte l’histoire du père Wallez qui, en 2008, a été interpelé pour avoir dit une prière à l’extérieur de l’église parce qu’il y faisait trop chaud. Ou encore celle de cette jeune Kabyle qui fut arrêtée parce qu’elle portait des bibles à la main. Au Maroc, c’est un peu différent, mais il y a des problèmes avec des chrétiens migrants de l’Afrique subsaharienne.

J’ajoute qu’il faut dissocier le Maghreb du Moyen-Orient. Au Moyen-Orient, ce ne sont pas les chrétiens qui viennent d’Europe qu’on agresse, ce sont les chrétiens locaux. Un amalgame est fait: s’ils sont chrétiens c’est qu’ils sont comme les occidentaux, alliés des Américains donc des juifs. Au Maghreb, c’est un peu différent: les chrétiens de l’extérieur sont perçus par les islamistes comme des agents du colonialisme.

 Ce que vous décrivez, c’est ce que d’aucuns appellent "le choc des civilisations"…

Je mets en évidence la dynamique de l’extrémisme. Les extrémistes sont souvent une petite minorité, mais cela ne veut pas dire qu’ils sont isolés. D’autres, moins radicaux, se coulent dans la tendance et profitent de la situation. A Bethléem, dans toute la Cisjordanie, et plus généralement dans les territoires occupés, on pousse petit à petit les chrétiens dehors, même s’il y a des contre-exemples positifs. Ainsi, dans un pays comme le Qatar, quelques églises ont été reconstruites récemment. Mais c’est l’exception qui confirme la règle.

On a l’impression, que pour beaucoup de musulmans, Occident et Christianisme sont identiques… Pour eux, si l’Orient est musulman, il va de soi que l’Occident doit être chrétien. Les musulmans ne peuvent pas comprendre l’athéisme ou l’agnosticisme. Pour eux cela relève de l’apostasie. Ils ne peuvent pas imaginer que l’on soit sans religion. Si on est européen ou blanc, c’est qu’on est chrétien. Si on est arabe, on est forcément musulman.

 Ils n’ont pas conscience que les chrétiens ont historiquement précédé l’Islam ?

Au Maghreb, ils n’en ont pas vraiment conscience. En Algérie, on ne parle jamais de la conquête romaine. Dans les manuels scolaires, l’histoire de l’Algérie commence au VIIè siècle avec l’islam. Cela exclut les Berbères, car ces derniers avaient été christianisés et judaïsés avant que l’Islam n’arrive. Mais ils ne veulent pas le savoir. En 2001, il y avait un colloque sur Saint Augustin où Bouteflika avait dit : "Nous sommes tous les enfants de Saint Augustin". Mais c’était avant le 11 septembre. Il ne le dirait plus aujourd’hui.

En Égypte aussi, les livres d’histoire mentionnent les pharaons et l’Islam. Ils ignorent l’expansion chrétienne dont les coptes sont les héritiers.

 Votre livre met en évidence le caractère partisan des médias en France.

CouvertureDevant l’église Mar Eleya de Bagdad (Irak), à la sortie de la messe de Noël en 2007. Si, dans leur expression la plus violente, les persécutions antichrétiennes se traduisent par des massacres, elles prennent le plus souvent la forme de discriminations qui rendent le quotidien invivable.

La différence de traitement entre l’attentat de Bombay, et celui du Nigéria, où des chrétiens ont été massacrés dans leurs églises, le démontre de manière flagrante. Il y a eu cent soixante-douze morts à Bombay et trois cents au Nigéria. Mais ceux-ci ont eu le tort d’être chrétiens.

Il y avait jusqu’ici une véritable omerta médiatique sur les crimes dont sont victimes les chrétiens. Souvenons-nous de l’extraordinaire écho du massacre des palestiniens de Sabra et Chatila, en 1982, alors que celui des chrétiens de Damour au Liban, en 1976, avait été passé sous silence – cinq cents hommes, femmes et enfants tués par des Palestiniens musulmans durant leur sommeil, un véritable Oradour-sur-Glane.

Je crois que mon livre peut aider à briser la loi du silence.

 Votre livre ne montre t’il pas un recul du christianisme dans le monde ?

On peut être pessimiste. Par rapport à l’Islam, c’est un fait que le christianisme régresse. Les chrétiens fuient leurs berceaux historiques, car on leur rend la vie impossible. L’Égypte en est un exemple. Un Evêque copte me racontait récemment qu’en faisant la queue pour acheter son pain, un "musulman barbu" était passé devant tout le monde sans que personne n’ose dire un mot.

En soi, ce n’est pas grand chose, mais c’est significatif. Quant aux femmes chrétiennes de ce pays elles sont obligées de porter le voile dans certains endroits. Récemment, des jeunes filles ont été kidnappées, violentées, séquestrées puis mariées de force à des musulmans. Quand les familles ont porté plainte, la police à dit qu’elles étaient consentantes. Pour les kidnappeurs, ces filles ont été sauvées de l’apostasie. Quant aux autorités, elles sont souvent passives ou complices. Le constat de mon livre est alarmant car tous ces faits sont avérés.

 Quelles sont les solutions ?

D’abord, ne pas céder sur un certain nombre de vérités historiques. Rappeler l’antécédence de la présence des chrétiens en Orient, ou encore le fait que le massacre des Arméniens en Turquie avait aussi un caractère confessionnel, puisque les Arméniens étaient chrétiens. Depuis ce massacre de masse, les chrétiens, même s’ils ne sont pas persécutés, restent des citoyens secondaires dans ce pays.

En Turquie, en Égypte ou en Indonésie, la religion est mentionnée sur les cartes d’identité. C’est la première forme de discrimination, car si vous êtes non musulman, vous êtes discriminé au niveau de l’emploi. Nous devons demander à la Turquie de cesser de préciser la religion sur les cartes d’identité. Récemment, l’Unesco a obtenu que les manuels scolaires des enfants palestiniens cessent de mentionner la destruction d’Israël.

Par toutes sortes de pressions, surtout économiques, l’Occident peut obtenir des résultats, alors que la guerre ne peut avoir que des effets catastrophiques. La guerre en Irak a réactivé, pour des millions de musulmans, l’idée que les occidentaux sont redevenus des « croisés ». Et même si la France a été, jusqu’aux interventions de Chirac et de Villepin contre la guerre, épargnée par la vindicte antiaméricaine, elle est aujourd’hui mise dans le même sac que les États-Unis.

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