Elle est venue me rappeler les oasis, les caravansérails, les mausolées turcs, les édifices mongols. Elle est venue me murmurer les rives de la Caspienne aux pêcheries d’or gris des caviars....
Elle me disait la beauté de la steppe et de ces villes qui témoignent de la puissance Perse.
Mes rêves des tempêtes guerrières de Darius, elle les repoussait doucement, tel le zéphyr, vers les sanctuaires Qadjar, aux roses capiteuses. En toile de fond, les montagnes déchiraient le ciel de leurs ocres, de leurs violines, et les mosquées s’enflaient d’orgueil gonflant à n’en plus pouvoir leurs couples de faïence bleu cobalt. Les arbres s’inclinaient sur mon passage m’indiquant la voie royale.
Nous venions de quitter le Sud du légendaire Zoroastre, prophète du Dieu Ahura Mazda, pour emprunter la route du Nord qui mène vers les théâtres d’eau et de fleurs.
Elle m’a alors chuchoté: "Voilà déjà Chiraz, et le Jardin d’Hafez, immensément poète ! Omar Khayam ici est banni. Il a trop écrit sur le vin et les femmes. Les ayatollah l’ont enfoui au plus profond de l’oubli".
L’homme par la pureté de sa vie, de ses pensées, de ses paroles et de ses actes doit contribuer aux puissances du Bien, dit le Livre sacré, l’Avesta, et d’après ma jeune persane, nul autant que Hafez n’y était parvenu. Elle m’a alors entraîné jusqu’au 14è siècle, au cœur d’un jardin luxuriant de feuillages et d’eaux, près de la sépulture du plus grand poète lyrique qu’ait donné la Perse.
J’ai osé: "cénotaphe"? Elle m’a répondu fermement: "Non, tombeau !". Le diwan, (recueil) du poète, dispensait le ghazal, poème d’amour à lire et dire surtout dans les jardins. Elle m’a expliqué le raffinement, la fraîcheur, et m’a récité quelques vers de Hafez, dont le nom signifie "Gardien", gardien du Coran et gardien aussi de ces parterres, de ces paysages, de ces bouquets…
Elle dansait dans les allées, entre les fontaines, m’initiant aux chroniques de la beauté, de la très grande beauté de l’inspiration soufie et de la célébration des plaisirs de la vie.
Elle est venue tout près de moi et s’est assise pour me raconter ces empires qui se bâtissaient au rythme des batailles, m’égrener les noms des Rois et des Shahs qui ici s’entretuaient. Puis elle a changé de gamme et, dans la musique des arbres, a murmuré d’une voix douce et gazouillante comme l’au qui glisse sur les marches: "Dans ce jardin de Hafez tu verras le secret de la Coupe du Graal. Bois, enivre-toi de musique et chasse de ton cœur tout ce qui pourrait lui faire mal".
Et j’ai vu danser les eaux jaillissantes, enchanteresses, qui bercent encore l’ombre d’Esther. Dans l’arrière patio, j’ai fumé le narguilé aux senteurs de pomme et me suis alangui sur les sols couverts de tapis. Les jeunes gens buvaient de ces thé parfumés qui font se nouer les amours. Échanges incessants de la caresse des mots, de l’étreinte des regards qui incitent depuis l’origine au tissage et métissage des corps.
Ici une garçon serrait contre lui sa jeune compagne, lui susurrant un poème de ce jardin où tout n’est que poésie. Chaque duo ne formait qu’un, ne voyant que les feuilles et les fleurs dans le regard de l’autre. Le bonheur semblait ne pouvoir exister que dans la rare beauté de ces jardins uniques. Malgré leur suspension dans l’espace, ceux mythiques de Babylone n’avaient jamais pu rivaliser avec tant de magnificence.
Autour du sépulcre de Hafez, qui trône au cœur du parc aux mille essences, des enfants tendaient leurs bras et tournaient lentement. Etranges mouvements de danse; la main gauche tenait une sorte de plumier ouvert, plein de courts poèmes pliés sur eux-mêmes afin que nul n’en devine le message. Sur la main droite, et sur tout le chemin du bras, une mésange trottinait, attendant les amoureux qui passent. On lui offre son doigt, l’oiseau y grimpe. On l’approche du plumier, l’oiseau y cueille un écrin de papier et l’offre à celui que le destin désigne, livrant aux couples qui s’en emplissent, une poésie de Hafez.
J’étais d’humeur lyrique, par mimétisme peut-être, comme je l’exprime ici. Ma persane s’est approchée d’une perruche jaune et or, et a tendu son doigt.
A moi Tamerlan, Gengis Khan, Marco Polo! Je suis perdu! Ne m’abandonnez pas aux sortilèges des jardins de Chiraz!
L’oiseau a picoré au plumier le plus beau poème: il m’était destiné.
Elle l’a doucement déplié et m’a glissé à l’oreille:
Je suis ta brise printanière
et vais souffler sur toi le plus doux des pollens
car de ton jardin je veux être l’unique fleur.
Mon parfum emplira la coupe de ton cœur
pour y chasser les fièvres et les haines.
Et mes yeux ne quitteront les tiens qu’à l’heure de la poussière.
Je suis ta brise printanière.
Dans l’esprit de Hafez